Le brouillard était si opaque, ce matin-là, sur les pentes de l’Osogov, qu’on voyait à peine à cinq pas devant soi. L’immense forêt de sapins et les alpages de toute cette région sauvage de la Macédoine orientale s’estompaient sous un voile de couleur jaunâtre qui aurait pu rivaliser avec la trop célèbre « purée de pois » de Londres.
Dans le village de Kanovo, déserté par la plus grande partie de la population masculine partie à la foire de Kokane depuis la veille, la belle Priscia fait part à sa mère des craintes qu’elle ne peut s’empêcher de ressentir : « J’ai beau chercher à me raisonner, je ne peux parvenir à effacer de mon souvenir la rencontre de l’autre jour… J’étais allée chercher de l’eau à la fontaine, lorsque j’ai vu un homme, adossé contre un mur, qui m’observait avec attention. Je ne connaissais pas cet individu, mais à la façon dont il se trouvait armé, à ses allures et à sa physionomie farouche, je n’ai pas tardé à comprendre qu’il s’agissait de Xandros le comitadji. Cet homme a toutes les audaces ».